Les veilleurs,
Silhouettes noires ou blanches, nommées « veilleurs » par le peintre lui-même,
Ils sont 4, 5, parfois 6
Bien serrés sur un promontoire
Ou disposés sur la ligne d’horizon…
Un chemin parfois y mène
Ils sont apparus au cours de l’été 91, brusquement et ont envahi tous les murs de l’atelier, recouvrant les petites « maisons-drapeaux » de leur présence imposante.
C’était la première « vraie » série…
À l’automne, ils s’étaient effacés, du jour au lendemain, laissant la place aux têtes de fantaisie… jusqu’au printemps 1997 où ils ré-apparaissent, à la suite des régentes ; quelques grandes toiles, la plupart reprises de 91, et, selon Antoinette Dilasser, plus « codifiées ». La série des mains leur succéderont…
Certains ont connu les cimaises des musées et centres d’art : au Domaine de Kerguehennec, au MAMCO de Genève, au château de Ratilly, à l’Art dans les chapelles, à l’arthotèque de Caen, aux Musées des Sables d’Olonne, de Saint-Lo, de Valenciennes, de Grenoble, de Brest, de Bordeaux, …
Geneviève Dilasser et Pauline Demange-Dilasser, fille et petite fille de François Dilasser
Ils ont écrit sur les Veilleurs :
« Il y eut un premier soir où je suis allée voir …
Un choc, …
Tu me regardais, avec une sorte de « bravoure », de provocation, l’air de dire « eh bien c’est comme ça ». Je ne voyais que la « bad-painting », un recul ? est-il en train de casser ce qu’il a conquis ? ça m’a empêchée de voir la force expressive, obtenue par des moyens simples, à l’économie. Parce que, dans cette économie, rien n’était perdu en recherche d’effet, n’était dépensé en effets, en minuties techniques, en « appris ». Brut sans doute, était-ce voulu, clairement ? Peu importe. Tu parlais de ton art comme d’une pratique intuitive, instinctive : c’est, là, de l’instinct tout pur, la force de l’instinct jaillissant qui guide la main ( à vrai dire la main y va toute seule ).
Les photos de ces murs d’atelier le disent : c’est à touche-touche, présent, irrespirable. Tu as avoué plus tard que parfois tu regrettais le travail patient, celui d’un tapissier qui mène sa tapisserie, mais tu ajoutais qu’on ne peut revenir en arrière : il faut oublier l’habileté conquise. »
A. Dilasser, extrait de Toi, ce peintre. États d’un portrait, (à paraître)
« Un important assemblage de formes-jardins (Les Douze, avril 91), par l’usage du noir et du blanc, annonçait la production très surprenante de l’été suivant et que Dilasser intitule Les Veilleurs. À y regarder de près, ce qui se voit là circule depuis longtemps dans l’œuvre et apparaît ici de manière plus synthétique et radicale, plus grave peut-être, sous la forme combinée de grotesques et d’architectures placées soit frontalement, soit en contre-plongée. Ces étranges alignements d’effigies attentives et goguenardes, qui peuvent rappeler Philip Guston, surgissent comme un coup de poing. J’y vois comme une affirmation, un acte de résistance et d’autorité dans le contexte de la peinture actuelle. On veille en effet. On veille sur cette peinture, sur cette façon d’envisager l’acte de peindre et jusqu’à l’idée qu’on se fait de la peinture.
À consulter les carnets de dessins, Les Veilleurs s’interrompent comme ils étaient apparus : du jour au lendemain. À quoi succède une explosion de couleur où il ne faut pas se hâter de lire l’expression d’un soulagement ».
J.-M. Huitorel, « Le talisman du monde », in catalogue Valenciennes, Sables d’Olonne, Saint Lô, Caen, 1996
« La série des Veilleurs …
C’est dans l’atelier du peintre que je l’ai découverte et ma première réaction … fut la surprise, sinon la déception. Plus de fractionnement de la toile ni d’enchâssement « fractal » des figures, mais de grands à-plats nettement différenciés. Et plus de marqueteries colorées, remplacées par un usage exclusif et sévère du noir et blanc. Mon désappointement était d’autant plus sensible que François Dilasser faisait défiler devant moi, à cadence rapide, sa production d’un an qu’il déplaçait et réentassait en s’excusant , comme toujours, de ne « pas savoir la montrer ». Pourtant, au bout d’une heure, l’emprise de ces Veilleurs sur moi était totale… »
J. P. Le Dantec, « Propos d’un amateur d’art sans compétence particulière », in catalogue Valenciennes, Sables d’Olonne, Saint Lô, Caen, 1996
« Les veilleurs. Sans doute est-ce au milieu de l’année 1991 que F. Dilasser s’inquiéta vraiment de la figure ? On a dit ailleurs l’importance de cette préoccupation longtemps demeurée latente. Durant l’été, une fois closes les séries Jardins et Planètes, les couleurs disparurent. En noir et blanc, souvent bien plus de noir qu’il ne restait de blanc, surgirent des formes verticales, étroites ou larges, séparées ou jointives…. L’image d’un phoque et de ses palmes ne serait pas incongrue si les masses sombres, rarement claires, ne dégageaient, par leur schématisme, leur brutalité de trait, quelque chose de menaçant. Loin d’être des animaux étonnés et alignés, ce sont des gardes, des sentinelles.
Ces guetteurs peuvent se transformer en muraille, en rempart, en vigie dominant le plat pays, contrôlant la ligne ou l’arc d’un chemin. Le nom de Veilleurs leur est resté. Après tant de formes cernées et de signes errants multipliés à l’envi dans un espace restreint, F. Dilasser touchait à la fois au monumental et à la vigueur du contraste. Il maîtrisait non plus le noir de la mine ou celui de l’encre mais un mélange d’acrylique et d’encre de Chine, d’un mot « le noir-couleur » dont l’exigeant Barnett Newman disait : « … c’est ce qu’un artiste utilise … quand il essaie d’entamer quelque chose de nouveau ». Un jour, les effigies impressionnantes quittèrent le mur. Nul ne pouvait imaginer que ce fut pour toujours. Elles réapparurent en début de 1996, comme une « suite des Régentes »
R. Le Bihan, « Les Veilleurs », in François Dilasser, Editions Palantines, 1999