L’Unité du monde.
31 œuvres de François Dilasser
S’agissant du domaine de l’art, l’historiographie s’est vue récemment soumise à diverses réévaluations où la stricte chronologie associée à l’histoire des mouvements (dans la tradition hégélienne et marxiste), celle des avant-gardes en particulier, se trouve en partie contestée au profit d’une temporalité plus géologique, plus complexe et plus propice aux singularités. Il semble, et ce contexte y invite, que l’œuvre de François Dilasser doive être envisagée à l’aune d’une grille d’analyse moins historiciste et plus ouverte aux sciences sociales récentes dont celles qui découlent de l’anthropologie contemporaine, en particulier celle qui tente de revisiter le lien entre l’humain, l’animal, le paysage et l’architecture, synthèse que toute l’œuvre de Dilasser, depuis le milieu des années 1970, n’a cessé de tenter à sa manière, à la fois intime et cosmique. Il convient d’insister sur la singularité contemporaine de cette œuvre qui donna sa pleine mesure, faut-il le rappeler, non pas dans les années 50, ni 60, ni même 70, mais dans les années 80 et 90. Dilasser est un artiste tardif et le discours critique sur son œuvre, particulièrement dans ses premières années bretonnes, s’est parfois figé dans des références par trop convenues aux années 50 et à l’abstraction lyrique. Or Dilasser n’est pas un « abstrait lyrique » : ni abstrait, ni lyrique. C’est un peintre des dernières décennies du 20ème siècle, tant dans son rapport au monde que dans son dialogue avec d’autres artistes en amont de l’histoire.
Je l’ai souligné à maintes reprises, le motif fondateur de sa peinture apparait en 1973, une forme parallélépipédique qui contient et qui repousse le cadre, qui circonscrit le tableau. S’il avait été formaliste, Dilasser aurait fait de ce rectangle souple la marque visible et reconnaissable de son art. Il n’en fut rien bien que souvent on la retrouvât en de multiples occasions, dans d’innombrables articulations, dont l’ensemble dit « Passage de la mer Rouge » constitue l’un des exemples les plus probants. Cette surface géographique, paysagère, cet espace du tableau muta très vite, tantôt en des variations contigües, tantôt en de sommaires navires fendeurs de flots, arches d’on ne sait quel Noé échappant au déluge. Mais ce qu’il faut retenir ici, c’est l’idée de mutation. À partir du milieu des années 1970, et très clairement au cours des deux décennies suivantes, les formes s’ébrouent. Elles vont désormais rendre compte (l’insigne vertu représentative de l’art), d’un monde non pas figé dans des catégories que la taxinomie héritée des Lumières a établies, mais bien d’un univers que les sciences plus récentes envisagent dans la complexité de ses interconnexions : une fluidité transformatrice pour laquelle il n’est point de repos. Cela suppose à la fois une connaissance des ensembles et la remise en cause des frontières, grammaire de l’art, frontières du réel. C’est là que, me semble-t-il, réside l’ambition de la peinture de François Dilasser. Cela concerne la figure humaine, les apparences animales et végétales, le paysage, terrestre et maritime, l’architecture, les objets, sans que nulle figuration mimétique et plate ne vienne asservir l’entreprise.
Le choix des œuvres qui constituent cette exposition repose sur l’idée que les catégories sus mentionnées se meuvent et se dissolvent dans une sorte de morphing qui n’est rien d’autre que ce que Montaigne appelait « la branloire pérenne », figure d’un monde dont la diversité n’a d’équivalent que l’unité.
Iles braillardes (Yok), châteaux sentinelles (Les Veilleurs), sentinelles architecturales (Les Régentes), figures paysages (Pré bateaux feux), tacots anthropomorphes, paysages navigants (Passage de la Mer Rouge).
Réversibilité générale. Unité du monde.
Jean-Marc Huitorel
Avril-mai 2020.