BRUME DE SOLEIL
Celle ( 1971 ) que tu as nommée Brume de soleil.. Je l’ai sous les yeux dans notre chambre, cette oeuvre. Pas sous son meilleur éclairage , et Dieu sait qu’en ce cas particulier la lumière compte. Au mur près du jardin (ça n’a pas le coupant nacré de la lumière de mer ) ta Brume de soleil est moins à l’aise. C’est à l’origine un paysage de mer... Au centre, une architecture à deux triangles symétriques peut faire penser à des voiles ? Un horizon se dessine à la base des triangles, il coupe la toile entièrement de droite à gauche. L’espace du bas est occcupé par un faux-carré d’un rouge éloquent, au milieu. A gauche un carré semblable, gris d’argent avec des transparences. A droite deux rectangles superposés, bleu vif et bleu/blanc. En haut, de part et d’autre des triangles-voiles, un lourd gris/mastic et le jeu de petites surfaces en différents argents, légers. Au milieu, au niveau du rouge mais très haut, un bleu vif, acide. Toute la peinture est ceinte de bandelettes courtes qui la cadrent, alternance de gris-blanc-bleu–rouge.
(…)
Et alors – alors c’est ça, regarder ? Ce que j’écris là ne se veut nullement une « explication » du tableau. C’est une accumulation de ce que j’en sais, après tant de regards. La peinture, elle, contient tout, tait tout... dit tout.
Répéter ce que j’ai constaté, déjà, ailleurs : cette toile me donne de la joie. La joie que donne la peinture quand elle est à ce point. Glycéro, un pinceau sans doute large, mais pas jusqu’à écraser la touche. Où l’argent apporte, dans le gris, cette brume qui t’a donné le titre. Comme très souvent dans ta peinture, même à tes débuts, il y a des dessous qui égrènent la couche finale et jouent avec sa surface. Seuls les deux carrés sont sans nuances, le mastic et le rouge, le mastic surtout, buté, orageux... Le rouge est riche, touffu, sans lui rien ne vivrait ? (On se tait).
(…)
La joie, c’est l’ « irréfutable » qui la crée ? ce mot, je ne sais ce qu’il vaut mais il me semble parcourir toute l’œuvre, presque aussi présent à ces débuts ( la glycéro ) qu’on le sent aux périodes plus tardives ( le Jardin de mon Père, entre autres ). On pourrait dire tout aussi bien : ça ne peut être autrement, ou ( expression courante, mieux encore ) : ça se pose là. Pro-posé, là. Et la limite entre les formes, chaque fois, est une brume. Un sfumato. Chaque touche de la peinture elle-même est une brume (un dessous, dont la réapparition est voulue ?). Aboutir à cette plénitude...
Parenthèse. Les peintures (les très belles peintures – celles que tu dis réussies, parce qu’elles vivent) se donnent, parfois. Brume de Soleil se donnait, ce soir... Je croyais bien la connaître, cette toile, je m’étais appesantie à la décrire. Ce soir toute la moitié gauche tissée d’argent s’est confrontée à la partie droite aux tons francs. Ces carrés, pointillés par le surgissement des dessous, veulent rejoindre, appuyer, épouser les carrés francs, le rouge et le mastic orage et les bleus - le triangle noir affronte le rouge de sa pointe. Il n’y a rien à dire – à dire à ma façon. Tant de mots, un déballage de mots, alors que la peinture s’en passe... C’est juste pour ne pas oublier : j’ai eu ça.
oui je l’ai eu – et je ne puis n’être pas frappée par la mobilité de cette œuvre : ne pas comprendre (prendre) : tendrement est son lot
(et il arrive, souvent désormais, que je la « surprenne », cette peinture, si près dans la chambre que je ne peux l’éviter, un coup de lumière et ça y est – ne gaspille pas)
il ne se « donne » pas, ce tableau, tu n’aurais pas voulu : il est cette brume/joie que réalise ces bulles
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