Métamorphoses se situe au cœur de l’œuvre de François Dilasser entamée à partir de 1970 avec des paysages de terre et de mer, plus tard avec les Jardins, s’achevant dans les années 2000 sur une note céleste, celle des Etoiles, des Planètes et des Nuages. Constituée d’un assemblage de 15 tableaux au format total de 163 x 153 cm, cette peinture majeure, datée de 1993, a pour particularité un usage chromatique restreint à trois couleurs : le blanc, le noir et le vert à l’exception de quelques touches de gris, de brun. Lors de séries précédentes ou concomitantes, le peintre a montré sa grande maîtrise du blanc en interaction avec le noir, éloquente dans l’ensemble des Veilleurs, facétieuse pour les Régentes zébrées de 1995. Le vert, un vert particulier, moussu, apparu par petites touches dans certaines Chute d’Icare, certains Arbres aussi, arbitre l’ordonnance et tire explicitement Métamorphoses dans le registre du paysage.
A plusieurs reprises, l’artiste assemble des châssis de même format (Têtes (1992), Têtes silencieuses (1992), Têtes de mer-métamorphoses 1 (1993)) ; celui-ci procure à l’œuvre une architecture complexe, non sans incidences tant sur l’espace que sur le temps du tableau. La partition rappelle les parcelles et marelles des œuvres plus anciennes qui, par une géométrie aléatoire, subdivisaient la surface peinte. Ici aussi le plan paraît supplanter la perspective. A moins que ce ne soit illusion car quand on regarde ces formes énigmatiques, que voit-on ? On croit reconnaître un rocher, une pierre couchée, un gisant, une pointe qui s’avance dans la mer, une tête, des têtes, un nuage, le fond de la baie. Ces motifs sont-ils vus du dessus, de profil ? Les traits de contour, comme à l’accoutumée chez Dilasser, sont à la fois assurés et comme hésitants. Et, tandis que la colorimétrie dénote un ou des paysages, le regard peine à discerner les espaces respectifs de la mer, de la terre, du ciel. L’équivoque est à son comble qu’exprime à merveille ce titre de Métamorphoses (1).
Par sa composition, le tableau engage à l’observation. Les « cases » se succèdent sans constituer une suite. Le regardeur est sollicité dans un double mouvement, contraint d’appréhender d’un œil la structure et de l’autre chaque dessin enclos pour synthétiser le tableau. Ce morcellement est comme une énigme que la vision simultanée rassemble. C’est à travers sa fréquentation assidue des bords de mer et des chemins, dont a si bien témoigné Antoinette Dilasser à travers ses écrits, que le peintre élabore son dessein, celui de représenter le paysage selon différents points de vue dans un temps suspendu. Ainsi dès son retour à l’atelier, il note sensations physiques et impressions sur son Journal de promenade, les transformant en expérience intérieure, et enfin transposant celle-ci dans des formes indécises, un monde de signes que l’on peut ou non choisir de décrypter. CE
Métamorphoses. 1993, Assemblage de 15 peintures, acrylique et encre de Chine sur papier marouflé sur toile, 163 x 153 cm, Collection Frac Bretagne
(1) François Dilasser connaissait-il Les Profils sous l’eau (1946-1947) de Pierre Tal-Coat ? Cette série de dessins au lavis et fusain et de peinture à travers lesquels il représente « sa compagne Xavière Angeli se baignant sous une cascade […]. Ce motif, par passages successifs, se transforme et s’épure en signe Montagne et eau, rondeur de la nuque et courbe de la montagne aixoise. » (in L'écriture griffée, cat de l’exposition au Musée d’art moderne de Saint-Etienne, 1993.)