Journal de promenade
Le rapport que les artistes entretiennent avec leur pays natal n’est jamais joué d’avance et peut aller de l’affection à la répulsion. Chez François Dilasser, c’est l’attachement au « vieux pays », celui d’une enfance qu’il a jugé « trop » heureuse (entretien avec Charles Juliet, p. 37) qui prévaut. Lesneven (Finistère), lieu de résidence de toute une vie, fait office de point de départ, le plus souvent en direction du nord : Keremma, Kerlouan, Brignogan... dont les rivages sont fréquentés presque quotidiennement par l’artiste. Fréquentés, et même habités, puisqu’en plus d’une maison en bord de mer occupée les mois d’été dès le milieu des années 1960, Dilasser installera son atelier à Brignogan à partir de la fin des années 1990.
Le rapport au lieu entretenu par les artistes pose souvent la question de l’inspiration, voire celle de la dimension référentielle de l’art. Si certains artistes peuvent faire une mention plus ou moins précise des noms des lieux peints, par exemple, c’est une pratique que l’on retrouve peu dans les titres des œuvres de Dilasser, sans doute pour se dégager de contraintes inutiles et ne garder que l’essentiel. De même le lieu ne revient-il qu’en différé, de retour à l’atelier :
« C’est rare que je dessine sur place. Quand je reviens de promenade, je garde un souvenir de ce que j’ai vu et il m’arrive de dessiner de mémoire à l’atelier. Ainsi, il ne reste que ce qui m’intéresse. » (p. 26)
Peindre en Bretagne n’est pas anodin. Difficile d’ignorer qu’il est peu de régions autant sillonnée par les artistes et aussi immédiatement identifiable dans de nombreux tableaux et musées. Que ce soit pour l’exalter, parfois dans une perspective régionaliste, ou opérer des « ruptures » picturales, de nombreux artistes, peintres comme écrivains, se sont retrouvés embarqués, parfois de leur plein gré, parfois à leur insu, dans une forme de « défense et illustration » de la région.
Rien de tout ceci chez Dilasser, si ce n’est le fait d’être né là et d’en apprécier les paysages. Gage de ne pas être estampillé « artiste breton », ou condition d’une plus difficile « récupération », le rapport au lieu n’est pas une prise de distance, mais plutôt une présence, plus intense et subtile ; car la peinture ne représente pas :
« Les images et les sensations qui se sont inscrites en moi peuvent ressortir, mais à mon insu » (p. 19).
Loin de toute revendication, loin de rechercher l’abri d’une bannière, plus ou moins, confortable, cette peinture exprime un attachement au lieu et à celles et ceux qui ont pu l’habiter, sans extrapoler une appartenance globalisante, mais en exprimant « un rapport plus vrai, plus direct aux choses, à la vie, au monde » (p. 19)
« Je regarde la mer, son va-et-vient, la mer qui recouvre tout puis se retire. Les rochers... On ne peut pas ne pas penser à l’au-delà de la vie, à ceux qui nous ont précédé. L’impression d’un temps incalculable, la présence de tant d’êtres qui ont vu ces rochers... A quoi pensaient-ils ? Comment regardaient-ils ces rochers, cette mer ?... » (p. 18)
Un vieux pays, des gens, le rivage, les rochers, le ciel et la lumière, voilà ce que Dilasser a trouvé ici.
(Les pages citées sont tirées du livre de Charles Juliet, Chez François Dilasser, L’Échoppe, 1999)
Journal de promenade n°2, 1995 / 1996, 74 x 109, acrylique, papier, collection de l'artiste, photo : Didier Olivré
Têtes de mer - Métamorphoses, 1993, 130 x 150, acrylique / encre de Chine, papier marouflé sur toiles, collection de l'artiste, photo : Didier Olivré
Journal de promenade n°1, 1987 : 1991, 74 x 108, gouache, papier, collection de l'artiste, photo : Didier Olivré
Tetes de mer verte, 1993, 162,5 x 150, acrylique et encre de Chine, papier marouflé sur toile, collection FRAC Bretagne, photo : François Dilasser